L’archive du mois de décembre 2022 !
Actualités
Lumière sur… Un conte de Noël arcachonnais
LES ARCHIVES MUNICIPALES DE LÈGE-CAP FERRET ONT POUR VOCATION DE CONSERVER LES ARCHIVES PUBLIQUES, MAIS AUSSI DES DOCUMENTS PRIVÉS, UNIQUES ET PARFOIS PERSONNELS. TOUS LES MOIS, DÉCOUVREZ UN DOCUMENT INÉDIT SUR VOTRE COMMUNE ! PAR SON INTÉRÊT HISTORIQUE, SON ASPECT ESTHÉTIQUE, OU SON ORIGINALITÉ, CE DOCUMENT TÉMOIGNE DE LA MÉMOIRE LOCALE.
Noël est au menu de la revue municipale Presqu’île n°88. En entrée : des anecdotes sur un réveillon parfois mouvementé. En plat : les huîtres du Cap Ferret, très appréciées dans la France et dans le monde entier. Et au dessert : une délicieuse recette poétique de profiteroles au chocolat, proposée par le chef restaurateur de La Forestière en 1933.
Pour prolonger cette ambiance de fête, nous vous proposons de découvrir un conte de Noël plein de fantaisie, où les enfants réalisent leurs vœux et où les huîtres parlent ! A lire sous un bon plaid, avec une tasse de chocolat chaud, en attendant le Père Noël…
Noël arcachonnais
Par F. B. de C.
Extrait de L’Avenir du Bassin d’Arcachon du 21 décembre 1933
Quand vint le soir, les grandes personnes parlèrent de choses extraordinaires.
— Il faut rester chez soi pour connaître la plus exquise veillée de Noël, dit l’une. Les brûlants rubis du feu familial forment l’illumination de la féerie, où, tout à l’heure, le Père Noël va faire irruption, après une inconfortable dégringolade dans la cheminée, des aiguilles de pin encore accrochées à son bonnet ; il sera venu à califourchon sur une étoile de bonne volonté qui, au terme de sa course, restera fichée sur le plus bel arbre du bois, d’où le candide vieillard descendra tant bien que mal. En passant, il vérifiera le secret travail des genêts qui préparent déjà des surprises pour le prochain printemps, et s’il aperçoit par-ci par-là des arbouses oubliées, il n’aura garde de se constituer une petite provision, qui charmera ses loisirs du ciel.
— Vous voilà bien, vous autres, habitants de la Ville d’Hiver, avec vos Noëls calfeutrés, dit le « patron », en ôtant sa pipe de sa bouche. Pour moi, je rêve d’une veille étrange, au large des passes, dans ma pinasse, sur les eaux clapotantes où passent comme des fils de soie bleus, verts et or, et puis, dans la clarté de la lune, les Naïades antiques, que Dieu fit fées depuis près de deux mille ans, appuieront leur bras d’albâtre sur le bois de la vieille coque et je leur demanderai de me tisser un filet plus fin que les dentelles et plus fort que les liens d’un grand amour.
— Ma parole, patron, s’exclama l’organiste, qu’avez-vous donc à parler comme cela ce soir ? Je ne vous savais point si savant. L’esprit de Noël parle en vous pour sûr. Quant à moi, c’est à la messe de minuit que je sens le mieux la joie de fêter Noël. J’imagine le taillis des piliers obscurs où la constellation innombrable des cierges jette sur les vieux murs des ombres fugitives. Les paroles saintes me transportent dans ce paysage que vous imaginez chaque année, où la lumière d’une étable, perdue dans la nuit fraîche, reflète l’éclat d’un astre inconnu des mages de Chaldée .
— Et moi, dit l’enfant, je voudrais bien vous dire aussi la veillée de Noël que j’aimerais faire !
Mais le vieil oncle répondit, la pipe à la bouche :
— À ton âge, drôle , j’étais déjà couché à cette heure !
— C’est juste dit la mère, viens dire bonsoir !
Puis l’enfant monta l’escalier à l’odeur de bois verni, en songeant combien les grandes personnes sont heureuses de pouvoir se débarrasser des gens en les envoyant au lit.
L’escalier n’avait pas de fin. L’enfant montait depuis une heure sans s’arrêter, lui semblait-il, et soudain il se vit en face d’une porte qu’il ne connaissait pas et qui était entr’ouverte. Il la franchit. Or, il se trouvait sur une plage du Bassin, et les pins miraient leur frange noire dans les eaux blanches de lune et le varech dessinait des arabesques que les pluviers seuls savent au passage déchiffrer.
— Les autres ont raconté les Noëls qu’ils voulaient vivre, dit l’enfant, et moi je vis le mien, sans l’aide de personne !
Il entra dans l’eau. Elle était curieusement tiède ! Bientôt il en eut jusqu’à la taille, puis qu’aux oreilles. Il n’’éprouvait aucune gêne : « On m’a si souvent dit que les miracles fleurissent à Noël ! » Puis il s’enfonça plus avant, et le miracle se prolongeant, il sentit sa taille diminuer jusqu’à celle d’un crabe.
De petits crabes rougeâtres, justement, les pattes embarrassées de verts filaments d’algues, couraient dans tous les sens sur le sable fin. Une méduse promena sa masse opaline , fantastique appareil flottant, emporté par le rêve lent du courant. Dans l’ombre, l’ondulation diaprée d’un banc de sardines accrocha un pâle reflet sur un amas de coquillages polis, et, dans l’intense vie sous-marine de Noël, il aperçut soudain l’horizon symétrique d’un parc à huîtres.
— Quel silence dans ce parc ! fit-il. Elles dorment toutes ! Seraient-elles les seules qui aient oublié ?
Et il courut de l’une à l’autre, frappant sur les coquilles et disant :
— Allons ! allons ! réveillez-vous ! On n’a pas idée de fermer boutique à cette heure !
Une vieille huître, la première, s’entrouvrit d’un air revêche.
— Qui vient ainsi troubler le repos de l’aïeule que je suis, en lui donnant des terreurs inutiles ?
— Mais voilà Noël ! dit l’enfant étonné.
— Et c’est pour cela qu’il nous a réveillées ! clamaient les vieilles huîtres furieuses. Quelle génération !
— À ton âge, dit une autre, à voix étrangement masculine, j’étais déjà couchée à c’te heure, mon drôle !
— Mais qu’est-ce que Noël ? dit une jeune huître charmante.
— Ah n’en parlez pas, dirent les autres. C’est une sale époque où les hommes nous dévorent avec plus de voracité que jamais. Et c’est ce petit homme qui a l’audace de venir nous l’annoncer ? Qu’on l’expulse, un peu vite !
En signe de désapprobation toutes les coquilles se fermèrent d’un seul coup, comme des boîtes mécaniques. Une seule resta ouverte, celle de la jeune huître, et l’enfant répondant à l’invite s’y glissa.
Dans un replis capricieux d’une des valves, il aperçut une petite sphère laiteuse aux reflets roses.
— C’est mon secret, dit l’huître, et aucune de mes sœurs ne le connait. Je suis la seule éveillée cette nuit ; si l’Enfant-Jésus passe par ici, tu la lui donneras pour moi.
— Il sera bien heureux, dit l’enfant, et il prit entre ses mains la perle qui brillait d’un soleil intérieur. L’enfant y lut l’histoire des perles, qui se traçait en minuscules images fugitives, remplacées continuellement par de nouvelles.
Larmes solidifiées d’un archange pleurant sur l’Océan à la recherche des premières âmes naufragées ; les perles tombèrent entre deux vagues dans la mer ; elles roulèrent au fond des coquilles des huîtres entr’ouvertes, s’y ancrèrent sur un lit de nacre, pour attendre la future cupidité des hommes.
Alors ils vinrent avec leurs filets, leurs crocs et leurs paniers, sur d’étranges bateaux ventrus où les voiles se repliaient comme les ailes de monstrueux insectes. Les petits hommes aux yeux bridés commandaient la manœuvre et leurs longues blouses où des mains pieuses brodèrent des conseils de sagesse, grelottaient au vent.
Et les hommes se disputaient le trésor enfin conquis.
Mais voici qu’un HOMME, silencieux, penché sur des appareils délicats sous la neutre lumière d’un vitrage, voyait, de son côté, au fond de son éprouvette naître une perle parfaite. Il calculait les effets de sa découverte, entre autre celui de devenir riche en vendant aux autres ses magnifiques perles sans âme ; devenu tout puissant, chaque matin, en faisant son nœud de cravate devant la glace il sauvait le monde par la pensée.
Et l’enfant cherchait en vain la leçon de cette étrange histoire dans le silence intime de la coquille où il s’était réfugié, à la recherche d’une belle vision de Noël.
A ce moment ou entendit une grande rumeur dans les nuages, au-dessus de l’eau. Les orgues jouaient avec les harpes, et des chœurs invisibles répondaient jusqu’au fond de l’horizon. La mer s’illumina comme d’une grande aube.
— Peut-être que la voilà, dit l’huître avec crainte.
Alors l’enfant se dressa, surgit de l’eau comme il était entré, et tenant la perle entre ses doigts il l’offrit à la procession des anges, qui imprimait sur les eaux de larges reflets d’argent.
Seule est belle l’œuvre de la Nature, où l’intelligence n’a point apposé son sceau de régularité et formulé une recette. La perle est le patient fruit d’un travail que Dieu voulut étonnant et qui ne s’en étonne point est un monstre. Les hommes n’ajoutent rien au champ qui leur est permis. Aussi quelle offrande pourrait être mieux acceptée que le bijou ravi aux profondeurs marines !
« Sans doute, pense l’enfant ; nous a-t-on compris, là-haut ! »
Et un grand vol d’ailes frêles fend l’air de la nuit vers lui, dressé vers le ciel comme s’il s’offrait lui-même.
Et voilà que la perle se dresse, grossit, s’enfle comme une bulle, devient une balle, un ballon, une petite lune, et les yeux de l’enfant s’agrandissent d’admiration devant cette lumière qui en rayonne, plus blonde d’instants en instants et qui n’est autre que la lumière du jour sur son lit.
L’enfant est appuyé sur son coude réveillé. Les fentes parallèles des volets filtrent un soleil allègre . Les cloches délirantes font vibrer les forêts de La Teste.
Qui jamais dans ce monde grouillant pourra comprendre les merveilles qu’il sera allé chercher jusqu’au fond des eaux, dans ce Bassin à la perpétuelle attirance !
L’amoncellement des cadeaux devant la cheminée ne payerait pas le centième des visions de sa veillée préférée. Cela, aucun de ceux qui l’aiment ne le comprendra ; chacun dans la vie s’en va avec ses fictions particulières, chacun à son rêve, son monde. Et le seul adoucissement à cette mélancolie, c’est quoi qu’on en dise, l’autre enfant, le tendre prétexte de nos solennelles espérances.
Votre histoire, notre mémoire
“Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque.”
Aldous Huxley, écrivain anglais (1894-1963)
Vous possédez des archives sur les fêtes de fin d’année sur la Presqu’île ? Venez les confier aux Archives municipales (don ou prêt pour numérisation) ! Vos souvenirs nous permettront de mieux faire connaître l’histoire de notre commune.
Contribuez à enrichir cet article !
Service des archives
79 avenue de la Mairie, Lège bourg
archives.ad@legecapferret.fr
05.57.17.07.80
Sources et références
Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF :
- L’Avenir d’Arcachon, 21 décembre 1933
Retrouvez toutes les archives du mois sur cette page.
Découvrez le patrimoine communal à travers « La petite collection » !
Retour à la liste des actualités